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2017 - Journées du patrimoine : Pamiers, le catharisme et la tour de l'Evêque

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A l'orée du XIII° siècle et depuis ses origines, la ville de Pamiers vivait sous la double tutelle du  pouvoir religieux - celui de l'abbé de saint-Antonin et de ses chanoines- et du pouvoir laïc, celui des comtes de Foix, pour reprendre une expression très XIX° siècle, sous la tutelle de l'épée et du goupillon. Cet ordre des choses devait paraître immuable aux Appaméens. La croisade des Albigeois vint, pour un bon siècle, le perturber brutalement.

Notre histoire démarre à l'été1209, lorsque l' armée des croisés envoyée dans les terres de langue d'Oc pour éradiquer le catharisme, déferlent sur les terres du comte de Toulouse et de ses vassaux et les ravagent sauvagement. Pamiers apprend bien sûr très vite la prise et le sac des villes de Béziers et de Carcassonne, ainsi que les tueries qui ont lieu à cette occasion. La ville doit bien voir que l'armée des croisés se dirige vers le comté de Foix et doit se sentir vulnérable. Il est difficile de se glisser dans la peau de ces hommes dont huit siècles nous séparent mais on peut le croire sans se tromper.

Ce qui est certain c'est que l'abbé Vital qui dirigeait  alors le monastère de Saint-Antonin et dont nous ne connaissons pas grand chose car les textes concernant sa gestion du monastère sont rares, prit alors une décision étonnante et qui fut lourde de conséquences pour la ville. L'armée de Simon de Montfort était déjà Fanjeaux : il y alla et proposa alors au comte Simon de se substituer au comte de Foix, Raymond-Roger,  dans le paréage de la ville de Pamiers. Montfort s'empressa bien sûr d'accepter. Il quitta Fanjeaux, s'empara au passage de Mirepoix et en septembre 1209, il était à Pamiers. Vital le mit en possession du château et de tous les droits exercés jusqu'alors par le comte de Foix sur la ville. Montfort prêta hommage à l'abbé Vital dans la cité épiscopale. Les actes conservés sont formels.

On s'interroge en revanche encore sur les raisons d'un tel geste. Certes le contentieux était lourd entre l'abbé Vital et le terrible Raymond-Roger, du moins si nous en croyons les documents qui sont parvenus jusqu'à nous. Mais ces sources sont  partisanes : elles ont été écrites par les croisés. Peut-on se fier entièrement à ce que rapporte le chroniqueur Pierre des Vaux-Cerany dans son Historia albigensis, cette geste à la gloire de Simon, comte de Montfort et de Leicester ? Ou à celle de Guillaume de Puylaurens, qui écrivit sa chronique postérieurement et qui s'inspira de celle de Pierre des Vaux-Cernay ?  Quoiqu'il en soit il nous faut bien nous en servir de ces textes car ce sont les principales sources, voire les seules que nous possédions de nos jours pour tenter de comprendre la vie des cathares à Pamiers avant la croisade des Albigeois. Certes Pierre des Vaux-Cernay a pu  entendre de la bouche de l' abbé Vital certains des faits rapportés dans son Histoire car des  arguments, Vital a dû en aligner devant Simon de Montfort à Fanjeaux pour le convaincre... D'après le chroniqueur donc, la ville de Pamiers était vers 1200 infestée d'hérétiques  protégés par le comte de Foix. Dans cette chronique nous ne trouvons rien sur les habitants de Pamiers et le catharisme pratiqué par les gens du peuple. A lire Pierre des Vaux-Cernay cette nouvelle religion était principalement exercée  par  la famille des comtes de Foix et  son entourage proche. C'était une religion aristocratique. Pour des historiens comme Mgr. Griffe, l'hérésie aurait bien dans cette première époque été principalement l'affaire des nobles et on pourrait même lui trouver un relent d’anti-cléricalisme.  Elle aurait permis de lutter contre la puissance des évêques et surtout des abbés en ce qui  concerne Pamiers. Le comte de Foix n' était pas cathare, cela est sûr  mais il protégeait à l'évidence des hérétiques dans sa famille et parmi ses proches.  Nous apprenons ainsi que la femme de Raymond-Roger est cathare ainsi que ses sœurs, Cécile, vicomtesse du Causerans et Esclarmonde, veuve du comte de l'Isle-Jourdain, qui fut une grande protectrice de l'hérésie. Le comte les avaient  installées au château (au Castella) et de là, elles auraient propagé cette nouvelle religion dans la ville dont elles auraient fait  un centre de réflexion, d'étude et de diffusion de la doctrine albigeoise. Elles répandaient autour d'elle le virus de la superstition hérétique. Ainsi  c'est à Pamiers que s' était tenue cette disputatio à laquelle prirent part des membres éminents du clergé et des parfaits qui tentèrent une nouvelle fois de se réconcilier. Esclarmonde y intervenait avec passion et impatienté un moine cistercien, Etienne de Munia lui lança le célèbre «  Allez filer votre laine, Madame ... ». ce fut un des derniers essais de conciliation entre catholiques et cathares. Une nouvelle venue devait mettre le comble à la fureur de l'abbé de Saint-Antonin. En avril 1207, c’est une parfaite cette fois, admise à Fanjeaux, qui vint trouver refuge à Pamiers. Il s'agit de Faïx, comtesse de Durfort. L'abbé Vital n'aurait pas supporté son arrivée et les chanoines l'auraient chassée de la ville. En représailles le comte, furieux se vengea : un de ses proches massacra un chanoine célébrant la messe sur l'autel de Notre-Dame du camp. Raymond-Roger en personne aurait ensuite pénétré à l'intérieur du monastère Saint-Antonin en armes, aurait exigé que les clés de l'abbaye lui soient remises et serait allé les prendre, manu militari sur la chasse contenant les reliques de Saint-Antonin placé sur l'autel de l'église abbatiale. Il aurait ensuite enfermé abbé et chanoines durant trois jours, sans manger, sans boire et sans pouvoir sortir pour satisfaire les besoins de nature, tandis que sa troupe pillait l'abbaye, éventrait les barriques et couchait dans l'infirmerie avec des prostituées.

Quelle est la part de partialité et d'exagération dans ces tableaux ? De telles violences pourraient expliquer la décision prise à l'automne 1209 par Vital. Mais ces violences peuvent avoir été largement grossies pour justifier son acte. Nous ne le saurons jamais. Un  fait est certain : le geste de l'abbé de Saint-Antonin demeure unique : aucun autre membre du clergé de Foix ne s'est ainsi mis sous la protection de Montfort : ni Lézat, ni Boulbonne, par exemple. Il faut avouer qu'  appeler une armée d'invasion est un acte étonnant. Mais le belliqueux Raymond-Roger n'était pas en état  de s'y opposer fin 1209. Il avait perdu Mirepoix, Saverdun, Pamiers et il se battait avec les autres seigneurs languedociens groupés autour du comte de Toulouse. Il resta ainsi en fait 20 années écarté de la principale ville de son comté. Pendant cette période -une génération à l'époque, ce qui est très important- Pamiers devint selon la belle expression de Jules Lahondès « la capitale de l'orthodoxie », celle de la reconquête catholique en Languedoc. Simon de Montfort y installa sa résidence principale et c'est à Pamiers, après avoir mis la ville en état de défense, qu'il convoqua en novembre 1212 l'assemblée de notables à l'issue de laquelle il promulgua les célèbres coutumes de Pamiers, cette première tentative d'organisation des pays conquis et la première manifestation d'une volonté de modeler la société méridionales à l'image de celle du Nord. Mais Simon de Montfort mourut au cours du siège de Toulouse en 1218... Son fils, Amaury prit naturellement sa succession et prêta serment dans les mains de l'abbé de Saint-Antonin en juin 1218. Toutefois, le fils n'était pas le père et il perdit en quelques mois une grande partie des conquêtes qu'il avait héritées  : regroupés autour de Raymond VII de Toulouse, tous les seigneurs languedociens reprenaient une à une les places fortes ou les villes conquises par les croisés. C'est alors que le roi de France entra dans le jeu, appelé en renfort par Amaury qui ne trouva pas en sa personne le roi dévot qu'il devait espérer trouver. Louis VIII le Lion aimait la guerre … Il persuada Amaury de renoncer à tous les droits que l' Eglise avait accordés à son père sur le Toulousain et l' Albigeois. L'acte fut signé en février 1224 et le Capétien vint dans le Sud prendre possession de ses nouveaux domaines. Marié à Blanche de Castille à laquelle il était très unie il s'intéressait aux pays du Sud plus que ses prédécesseurs immédiats. Il s'installa à Pamiers en 1226 et c' est dans notre ville qu'il convoqua une assemblée de barons et d'évêques devant laquelle il régla la question des rapports des laïcs avec le clergé et qu'il décida des peines à appliquer par le bras séculier aux hérétiques (nous y reviendrons ultérieurement). Cette seconde croisade qu'il avait emmenée en terres d' Oc s'interrompit brusquement quelques mois plus tard à Montpensier en Auvergne où il mourut de dissenterie après avoir régné trois ans.  Son fils Louis, né en 1214 était mineur et la régente Blanche ne pouvait pas se permettre de poursuivre la croisade. Elle  traita avec les seigneurs languedociens  et c'est ainsi, pour ce qui nous occupe, qu'en 1229, le roi de France signa un traité à Saint-Jean-de-Verges avec le comte de Foix par lequel il lui restituait  ses biens, mais « le fait de Pamiers » devait être décidé ultérieurement, démonstration s'il en était besoin que Pamiers n'avait pas suivi le même chemin que les localités voisines en cette période troublée. En fait, la ville revint sous la dépendance du comte de Foix, avec pour ce dernier des compensations financières.

… Et Pamiers reprit en 1230 sa vie, comme avant la croisade sous la double houlette de l' abbé de Saint-Antonin et du comte de Foix. Qu' avait pensé la population appaméenne de « ce jeu de pouvoirs » entre abbé/comte et roi ? Là encore, nous ne le saurons jamais car la population reste totalement dans l'ombre durant ces deux décennies. Que pensaient les habitants de ces négociations, de ces violences dont ils étaient l'enjeu ? Epousaient-ils le parti de l'abbé ou celui du comte ? Etaient-ils prêts à suivre l'abbé qui ouvrait grand les bras au roi de France ? Quelques indices toutefois un peu postérieurs me font penser que les Appaméens furent heureux finalement en 1223 de retrouver leur comte et que l'arrivée des gens du Nord commandés par le roi en personne ne leur plut guère. C'est en effet en 1229, quelques années après que l'abbé Maurin, de si bonne mémoire dans les premières archives conservées par la ville, leur octroie leur première charte de coutume. Ces chartes étaient octroyées généralement  pour pour s'assurer la fidélité et l'appui des habitants. Maurin avaient donc besoin de l'appui des habitants. Regroupés et reconnus ces derniers ont-ils compris et décidé de faire entendre leur voix en cas de besoin ?  Personnellement je le pense, bien que cela n'ait jamais été dit par aucun historien. Ce qui est certain c'est qu'à compter de 1229, le peuple de Pamiers fit entendre sa voix.

Le temps coula plus ou moins tranquillement jusque dans les années années 1260.  Le nouveau comte de Foix, Roger-Bernard était d'humeur encore plus batailleuse si cela est possible que ses pères et il s'empressa de relancer le conflit avec l'abbaye de Saint-Antonin. Mais cette fois, les habitants de Pamiers prirent part aux événements et ne se contentèrent pas de les subir. Ceux sont eux qui attaquèrent le comte, cette fois, dans l'église du Mercadal. Ils finirent par le laisser sortir mais massacrèrent le bayle et s'attaquèrent aux maisons fortes dans lesquelles résidaient la suite du comte. L'abbaye paraît ne pas avoir pris part à ce haut fait d'armes ??  Tout allait changer un an plus tard lorsque Bernard Saisset, tout aussi batailleur que le comte  fut nommé abbé du monastère.  Durant toute la première moitié de sa mandature à la tête de l' abbaye, il paraît n'avoir eu qu'une idée en tête : refaire le paréage avec le roi de France, se débarrasser de Roger-Bernard. Il pouvait , semble-t-il compter sur l'appui de la population car les notables de la ville l'accompagnèrent auprès du pape pour obtenir son appui dans les négociations qu'il entreprit avec le pouvoir royal. Fort de l'appui suprême, il conclut en effet, en 1269, un accord de paréage avec Louis IX mais pour dix ans.seulement.  Louis IX réservait ainsi les droits du comte de Foix s'il venait à résipiscence. Bien évidemment le comte n'admit pas cet acte et multiplia les excès et les violences de toutes sortes à l'encontre de la ville et de l'abbaye. Rien n'y fit : le paréage  fut renouvelé en 1270, à la mort de Louis IX, avec son fils, Philippe puis, dix ans plus tard en 1280. mais la donne était changée : avec la mort concomitante à celle du bientôt Saint Roi de son frère Alphonse de Poitiers et de Jeanne, la dernière des comtesses de Toulouse, Philippe III était désormais le suzerain direct du comte de Foix et la surveillance  directe du Capétien sur le comté et Pamiers se précisait.L'acte de 1280 fait mention explicitement de la garde des forteresses de Pamiers . En 1280, le comte de Foix fut lui  emprisonné à Carcassonne pour avoir assiégé un château placé sous la sauvegarde royale (celui de Sompuy). Roger-Bernard sortit des geôles de Carcassonne en 1284 et se mit au service de son suzerain qui luttait alors en Catalogne contre le roi d'Aragon. L'année suivante sa bonne conduite et sa vaillance dans les batailles conduisirent le roi à lui rendre la pleine possession du paréage de Pamiers à la fin de son propre paréage, c'est-à-dire en 1290. Le roi mourut quelques jours après avoir scellé ces lettres et le comte de Foix se les fit confirmer par son successeur, Philippe IV en novembre 1285...Mais évidemment il ne devait remettre le paréage au comte qu'à la fin des dix ans

… Donc, la situation à Pamiers dans les premières années du règne de Philippe le Bel fut  assez explosive : Bernard Saisset  et les chanoines de Saint-Antonin étaient furieux, les hommes d'armes du roi occupait  toujours le château (le Castella) et le comte de Foix paradait dans cette  ville qui allait revenir sous son contrôle. La population prit d'ailleurs fait et cause pour lui multipliant  les actions punitives à l'encontre de l'abbé. Le sénéchal de Carcassonne vint soumettre la ville. .. C'est au cours de ces années que le comte Roger-Bernard construisit à l'intérieur de la première enceinte  cette tour qui nous occupe aujourd'hui. Il demanda l'hommage aux habitants qui y consentirent. De guerre lasse, Philippe IV ordonna à toute sa garnison d'évacuer Pamiers en 1295 alors que la ville était en ébullition. Le destin voulut que cette même année  1295 le pape Boniface VIII créa le diocèse de Pamiers en démembrant le trop vaste diocèse de Toulouse. Par sa bulle du 23 juillet 1295, Pamiers, élevée pour la circonstance au rang de civitas devint évêché et le premier évêque de ce nouveau diocèse fut bien sûr l'abbé de saint-Antonin, Bernard Saisset. Une nouvelle fois, toutes les cartes politiques furent rebattues.  Voici Bernard Saisset pourvu d'un pouvoir temporel qu'un abbé, aussi puissant soit-il n'a pas. On s'achemina alors lentement vers un compromis. Celui-ci fut rendu le 7 novembre 1297 par Guy de Lévis, maréchal de la foi. Le choix de cet arbitre était judicieux, il ne pouvait pas être récusé par le nouvel évêque étant garant de la foi et il était apparenté au comte. L'acte de novembre 1297, le « pronuntiat » a été conservé et il est particulièrement précis. Les deux partis y reconnaissent que la ville ne peut pas être gouvernée sans le secours d'un pouvoir séculier robuste pour la contenir. La ville est dite importante et les habitants, qui de tout temps ont eu la tête dure, sont difficiles à gouverner. Le paréage est rétabli comme il l'était en 1209 et pour toujours. La civitas doit être gouvernée par un château, la justice est partagée entre le comte et l'évêque. Le comte cède la tour « qu'il vient de faire construire » près du château à l'évêque. C'est cette petite tour, située au midi de l'église du Mercadal, sur un petit escarpement rocheux qui dominait le quartier des trois barris qui fut cédée à la fin du XVII° siècle aux Carmélites. Le comte ne se réconcilia totalement avec l' église que le 25 juin 1300. Puis le 27 juin soit deux jours après  l'évêque  remit symboliquement au comte les clés du château au pied de ce dernier, puis le comte le conduisit à son tour devant la tour neuve qu'il lui céda. Dans l'acte de réconciliation générale établi dans le réfectoire des Dominicains de Pamiers, parmi les témoins est mentionné un certain Johannes, inquisiteur de l'hérésie de Pamiers.

Voilà qui nous amène à la troisième partie de cette communication  car inquisition va de paire avec les cathares  dans nos esprits . Nous allons étudier dans cette dernière partie le rôle de l'inquisition à Pamiers et  donc laisser là la querelle de Bernard Saisset et du roi de France, qui touche à l'histoire nationale et non à la locale.

A Pamiers en 1297, il y avait donc en face du pouvoir comtal qui dominait la ville sur le Castella un évêché au Mas Saint-Antonin avec son official et aussi … un inquisiteur. L'inquisition fut créée en 1233 par le pape Grégoire XI pour éradiquer l'hérésie cathare. Jusque là les Prêcheurs avaient eu pour arme la parole, ce fut longtemps leur seule  arme devant l'hérésie. Ce fut celle de Saint Dominique. Les résultats furent médiocres. A partir de 1233 les prêcheurs ou dominicains furent là encore chargés de la nouvelle forme de lutte contre le catharisme … et les débuts furent très encourageants. C'est alors que les grands bûchers s'allumèrent : Montségur en 1244 par exemple.Il y eut même alors  des hérétiques condamnés après leur mort. Ce fut à Pamiers le cas de Isarn de Thaïs et Guilhem Faure. Mais un tribunal d'inquisition n'était  pas alors installé à Pamiers. Les grands sièges étaient  à Carcassonne, Toulouse, Albi. Après 1250, ou  les cathares s'étaient enfui en Italie ou ils  se terraient dans les hautes vallées de l'Ariège, de l' Aude et de la Garonne. Pourtant en 1295 quelques semaines après érigé Pamiers au rang d'évêché, Boniface VIII, toujours lui, y créa un tribunal d'inquisition. La prison où recevoir ces hérétiques fut construite aux Allamans où Bernard Saisset se fit les années suivantes construire un château, une résidence épiscopale d' été. Le premier inquisiteur de Pamiers fut choisi par Bernard de Castanet, l'évêque d' Albi. Il s'agissait d' Arnaud Dejean (le Johannes de la cérémonie du 25 juin 1300). Un seul de ses actes est parvenu jusqu'à nous, une lettre du 2 mars 1298 dans laquelle il assure la communauté juive de Pamiers de son soutien (elle vivra sous le même statut que celle de Narbonne). Il quitta son poste dans les premières années du XIV° siècle et ne fut pas remplacé dans un premier temps. Ceci permit aux inquisiteurs de Carcassonne et Toulouse, Geoffroy d' Ablis et Bernard Gui d'arpenter les hautes terres de l' Ariège et d'y traquer l' hérétique. Ce sont eux qui arrêtèrent en septembre 1308 tous les habitants de Montaillou, puis en 1310, la grande figure charismatique du catharisme, Pierre Authié qui fut brûlé à Toulouse en 1310. La poursuite des hérétiques n'intéressait pas Saisset. Il en alla bien différemment avec son successeur, Jacques Fournier, nommé le 19 mars 1317. Il resta neuf ans sur ce siège épiscopal, devint évêque de Mirepoix en 1327 puis fut élu pape en 1334 sous le nom de Benoit XII. Dominicain il avait déjà été chargé de délicats problèmes d' hérésie. Ce fut lui qui fut chargé de juger avec l'archevêque de Toulouse et l'évêque de Saint-Papoul Bernard Délicieux, le  lecteur des frères mineurs du couvent de Carcassonne, Secondé par Gailllard de Pommiès,nommé à cet effet par Geoffroy d' Ablis il fit revivre l'inquisition à Pamiers. Il est certain, à la lecture de son registre d'inquisition qu'il prit plaisir à l'exercice de ses fonctions d'inquisiteur. Il nous a donc transmis quantités de renseignements uniques en leur genre sur les quelques cathares survivants encore dans le comté de Foix mais aussi sur tous les marginaux qui gravitaient dans notre évêché et sur toutes les déviances religieuses de ce début du XIV° siècle. Il fait revivre sous nos yeux la ville en 1320 avec son ensemble épiscopal au Mas Saint-Antonin, le château du comte au Castella, la ville et ses barris et tous ses couvents de religieux, ses écoliers, ses étudiants et ses tavernes.  La cathédrale et son cloître, l'évêque et son chapitre sont au Mas, le château sur sa butte et les habitants dans la ville. Mais dans la ville il y avait aussi une petite crête fortifiée, la Tour de l'évêque qui allait parfois servir de prison. C'était et c'est toujours une pièce au plafond bas dont une ouverture donne sur une petite courette encadrée de murs. Les prisons de l'évêque étaient aux Allamans dans la tour du château épiscopal. C'était le « Mur » ou si vous préférez un avant-goût de l'enfer : deux étages de
cellules infectes. Là les condamnés au Mur strictissime purgent leur peine. Les cellules sont très étroites, ce qui n'a guère d'importance puisque les prisonniers y sont gardés pieds et mains liés, au pain et à l'eau.
Durant l'épiscopat de Jacques Fournier le tribunal d' Inquisition va siéger du 15 juillet 1318 au 9 octobre 1325 durant 370 jours. 94 prévenus furent entendus. Les jugements, appelés « sentences » étaient rendus publiquement au cimetière Saint-Jean et avec solennité. Ces cérémonies publiques eurent lieu les 1er Mai 1320, 8 mars 1321, 2 août 1321, 19 juin 1323 et 12 août 1324. Parmi les prévenus, on dénombre uniquement 4 Appaméens auxquels il convient d'ajouter le chevalier Bertrand de Taïx jugé pour hérésie après sa mort. Aucun de ces Appaméens n'est cathare même s'ils sont accusés d'hérésie. Vous allez le voir, l'un est un clerc défroqué homosexuel, Arnaud de Verniolle, un moine du Mas, Arnaud Gélis, dit la Bouteille, un ivrogne qui a des visions ;  il y a le commandeur de la léproserie de Lestang, Guillem Agasse et le juif Baruch, converti par la la force et qui est retombé dans la religion de ses ancêtres. Si Jacques Fournié a bien entendu des cathares il venait tous des hautes vallées. Avec l' audition de nos quatre prévenus nous pénétrons dans la vie quotidienne de Pamiers, ce qui est rarissime. Certaines de ces enquêtes sont aussi souvent utilisées par les Historiens car les auditions de Baruch et de Guillem Agasse permettent de mieux comprendre deux mouvements d'ampleur nationale survenus en 1320, la révolte des Pastoureaux et la persécution qui s'en suivit contre les lépreux, grotesquement accusés de vouloir empoisonner la France. Les années 1320 sont des années difficiles en Europe … Un groupe de paysans normands au départ touchés par les prêches enflammés de moines défroqués ou interdits partent pour combattre les Infidèles, sans autorisation pontificale et sans seigneur à leur tête. Cette bande de pillards qui  va grossissant se dirige d'abord sur Paris, qu'ils se laissent convaincre de quitter pour la Saintonge et le Périgord. Arrivés dans l' Agenais ils se séparent en deux groupes, l'un se dirige via les Pyrénées par le grand chemin de Saint-Jacques en Espagne, l'autre remonte la vallée de la Garonne. A partir de l' Agenais, ils massacrent systématiquement en route lépreux et juifs (sauf si ces derniers se convertissent). Ils entrent dans Toulouse et Albi et ce n'est que devant Carcassonne qu'une armée dirigée par le sénéchal de Languedoc les attend et les bat bien entendu. Routes et cols sont désormais fermés et ils sont à leur tour brûlés pendus et exterminés. On s'interroge depuis longtemps sur le jeu assez trouble mené à l'évidence dans cette triste rébellion par le roi de France Philippe III qui a manifesté une sorte de complaisance à l'égard de cette bande de pillards, n'a pas essayé de les réprimer à Paris mais qui auraient pour certains détourné leur attention sur deux catégories de marginaux : les lépreux et les Juifs. C'est par exemple la thèse que soutient l'historien Carlo Ginszburg. Il est vrai que lépreux et juifs étaient riches et que leur situation les rendaient vulnérables. En 1320, Jacques Fournier entend le juif fort aisé de Pamiers, Baruch et le commandeur de la léproserie de Lestang. La  communauté juive de Pamiers devait être assez étoffée puisque le premier inquisiteur, Arnaud Dejean, leur avait accordé de vivre suivant les usages de Narbonne. Son aisance est prouvée par ce sceau juif retrouvé sur la place du Mercadal au XIX° siècle, aujourd'hui dans la collection Pouech. Quant aux lépreux, nombreux à l'époque,ils vivaient pacifiquement dans un cadre calqué sur celui de l' Hôpital . De là à penser que Philippe III ait voulu s'emparer de leurs biens ???
Dans leur déposition nous trouvons de nombreux renseignements sur la façon dont se sont comportés les Pastoureaux à  Toulouse où ils se trouvèrent eux aussi alors fort  malencontreusement.  Nous allons nous contenter de relever dans leurs déclarations les éléments permettant de comprendre le fonctionnement de l' Inquisition. Le cas de Baruch est simple : pour sauver sa vie il se laissa administrer le baptême ; revenu parmi  les siens à Pamiers, il revint au judaïsme. Il fut  arrêté pour cela : « juif baptisé, jadis juif, aujourd'hui baptisé et revenu au judaïsme ». Jacques Fournier l'interrogea avec passion et ténacité. Baruch eut un interprète, David de Troys. Fournier voulait le ramener au catholicisme et nous devons suivre les longues démonstrations qu'il subit pour admettre la trinité des personnes divines, les deux natures du Christ, la preuve de la venue du Messie. Il n'a pas été torturé et la sentence le concernant paraît ne pas avoir été conservée.
Guillem Agasse, le commandeur des lépreux de Lestang, lui a été torturé.Accusé du chef d'hérésie et de tentatives empoisonnement il est interrogé d 'abord le 4 juin 1321 par le lieutenant du viguier, aux Allamans. Il subit ce premier interrogatoire « juste  après avoir été enlevé de la torture ». Autant dire qu'il reconnaît n'importe quoi : avoir ramené d'une réunion à Toulouse des philtres et des poisons pour exterminer toute la vile. Il énuméra complaisamment toutes les fontaines et  les puis de Pamiers où il aurait plongé ses sachets. Il est interrogé derechef les 4 juin, 6 juillet, 7 juillet, 20 juillet 1321. Sa sentence est prononcé le 5 juillet au cimetière Saint-Jean : le Mur. La vérité oblige à signaler l'existence d'une bulle pontificale du 31 octobre 1338, par laquelle le pape Benoit XII appuya les demandes des lépreux de Toulouse qui désiraient recouvrer leurs biens temporels spoliés par le pouvoir séculier car les lépreux « ont été reconnus innocents et non coupables ». Benoit XII, vous l'aurez reconnu : c'est Jacques Fournier.

Les deux autres cas sont beaucoup moins dramatiques, plus anecdotiques mais riches en détail sur la vie quotidienne des Appaméens.
Arnaud Gelis, alias la Bouteille, du Mas Saint-Antonin, est un hérétique converti. Arnaud voit l'âme des défunts la nuit et leur parle. Je l'ai longtemps pris pour un simple poivrot mais Carlo Grinzburg voit en lui un « armier », une personne qui a le pouvoir de voir les âmes, quelques siècles plus tard on aurait dit un sorcier et il aurait été brûlé. Armier  peut-être, mais ces âmes boivent et se chauffent. Il fut entendu dans le cloître de l'abbaye le 23 février 1320, les  24, 26 et 28 février suivant dans la chambre de l' évêque puis il écouta sa sentence le 25 avril au cimetière Saint- Jean : condamnation à un pèlerinage majeur. Ont été auditionnées sur ces faits qui remontaient pour certains à une dizaine d' années  cinq femmes, toutes de Pamiers. Rien que des femmes …

Arnaud de Verniolle est accusé, lui, du chef d'hérésie et de sodomie. Il est le fils de Guillaume de Verniolle du Mercadal. De nombreux témoins, tous étudiants, âgés de 16 à 19 ans vinrent tout le mois de juin 1323  témoigner de son homosexualité qui ne fait aucun doute, et du fait qu'il avait tenté de les confesser alors qu'il n' était  pas prêtre … Puis le 7 juillet ce fut le tour de frère Pierre Record, carme qui avait  été incarcéré avec lui dans le même cachot. Ce carme défroqué était  une taupe, un délateur. Il s'attarda sur les actes hérétiques d' Arnaud de Vernniolle qui voulait entendre les confessions de ses proies. Le 23 juin, Arnaud de Verniolle déposa dans la galerie supérieure de l' évêché. Il raconta en détail sa jeunesse, ses études et comment il avait très jeune versé dans le vice dans les chambrées tenues par les professeurs de grammaire. Il dénonça un certain Messire Maurand, prieur de Lavelanet et chanoine de Saint-Sernin à qui il aurait servi de rabatteur. Il avoua enfin ne pas s 'être confessé depuis douze ans, depuis qu'il avait quitté les Frères mineurs. Un délai lui fut accordé pour se souvenir de toute la vérité mais le 28 juin il affirma avoir tout dit.Le 1er août on le sortit du Mur et le 9 août il entendit au cimetière sa sentence : « le mur strictissime, aux fers et au pain et à l'eau ». Il fut  dégradé des ordres mineurs le 19 août 1324. Ce qui est remarquable dans cette dernière affaire c'est la volonté de Jacques Fournier de transformer une affaire de moeurs en affaire de foi.

 

Arnaud de Vernniolle est le dernier Appaméen jugé par l' inquisition de Pamiers. Dominique Grima, qui remplaça Jacques Fournier était  un dominicain aussi ; on peut admirer aujourd'hui encore l'admirable chapelle funéraire  qu'il fit construire au couvent des Jacobins de Toulouse. Il  n'avait pas l'appétence de son prédécesseur pour les hérétiques. Il commença par vider l'infect mur des Allamans de ses détenus. Ensuite , l'inquisition à Pamiers fait relâche. Une dernière condamnation en 1325 puis … plus aucun document. Pourtant le titre d'inquisiteur existait toujours  mais tout se passe comme s'il n'était pas là. Et pourtant la mémoire collective se souvient de cette dizaine d' années où la ville vécut sans doute dans la peur de la suspicion et de la délation et ce souvenir s'est focalisé bien injustement sur cette malheureuse tour qui servit, somme toute si peu à l' Inquisition. Pourquoi sur elle et pas sur le Mur des Allamans ou sur le cimetière Saint- Jean ? Ce sont les mystères de l' histoire, la grande et la petite.