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2023 - "Mes promenades dans Pamiers" par Danièle Neirinck

           Pamiers, première ville du département de l’Ariège par sa population est bien moins connue que Foix et son château. Elle doit cette supériorité démographique à sa situation géographique : comme l’écrivait le géographe Michel Sébastien, Pamiers est un « trou » (au sens géologique du terme) entouré de buttes et de collines … « et au milieu coule une rivière » (1). Quand il arrive dans la ville le visiteur est d’abord séduit par l’abondance de l’eau : l’Ariège, bien sûr mais aussi par les canaux qui entourent le bourg primitif et par les ruisseaux et sources (dont celle de Sainte-Natalène sans doute à l’origine de la légende de la ville). Conséquence le paysage alentour est toujours verdoyant. Et pourtant Pamiers est aussi et d’abord peut-être une ville ouvrière ce qui cela fait sa vitalité. Pamiers est donc un peu mal aimée dans les guides touristiques. Elle ne renferme pas d’église romane, ni d’abbaye renommée. Dans un département où foisonnent les chapelles romanes, les châteaux médiévaux dénommés souvent abusivement « cathares », les « bastides » et leurs places couvertes, Pamiers fait pâle figure. Ville industrielle et sans âme ? Le touriste passe vite … Il a tort. Il faut prendre le temps d’en découvrir les charmes, de flâner dans ce terroir très étendu (plus de 46 km2).

         Il est exagéré de dire que Pamiers ne renferme pas d’édifice roman. Elle en cache un, un seul, juste en face du centre-ville, à Cailloup, sur la rive gauche de l’Ariège. Une ravissante petite chapelle romane dédiée à Saint Antonin, en pleine nature, datant en partie des X°-XII° siècles. Il faut franchir le pont et marcher un peu pour l’admirer. Elle subit bien sûr le sort de toutes les églises et chapelles de la ville pendant les guerres de religion mais fut restaurée au XVII siècle. C’est là que tous les ans, à l’époque médiévale, la population entendait la messe lors de la grande procession du lundi de Pentecôte. Devenue dès le XVII siècle la bastide du sieur de Cailloup, le lieu est désigné sous le titre de « maison » dans le compoix des années 1689. Il y est bien précisé que « l’église Saint-Antonin et le cimetière » ne font pas partie des biens de Paul de Sartre. Vendue comme bien national, transformée en étable, elle put ainsi traverser les siècles jusqu’en 1989, année où la ville l’acheta et la restaura (2).

         Maintenant visitons ce centre urbain « historique », berceau de la cité, enserré par ses canaux mais presque dépourvu de murailles et disons tout net ce qu’on n’y trouvera pas. Les archives municipales sont de très loin les plus riches du département et conservent précieusement une collection exceptionnelle de registres de délibérations remontant au XIV° siècle. La ville a perdu presque tous ses bâtiments médiévaux. Les habitants eux-mêmes se sont chargés de les détruire. En son âge d’or (1300-1500), Pamiers aurait possédé de beaux bâtiments dont les rares vestiges ont été étudiés et interprétés, parfois difficilement. Quelques chapiteaux, quelques murs de qualité, des traces d’ouvertures « rebouchées », des murs qui changent d’appareils à mi-hauteur. La recherche des traces de la cité médiévale ne manque pas de charmes.  De 1560 à 1628, pendant trois quarts de siècle, catholiques et protestants s’y sont livrés une lutte fratricide, sans merci. Le grand évêque de Pamiers que fut Henri de Sponde (1626-1643) parle à la fin de sa vie « d’une cité piétinée et anéantie, d’un cadavre ». Près d’un siècle plus tard, en 1726, son successeur, Mgr de Verthamon écrit encore : « Pamiers est devenu une espèce de désert et un entassement de pierres et de masures que la paix d’un siècle entier n’a pas pu encore relever ». Qu’on se le dise donc, les bâtiments de caractère que nous admirons aujourd’hui datent de la fin de la fin du XVII ° siècle et du XVIII°.  Prenons l’exemple de la cathédrale : de l’église primitive du XII° siècle il reste une portion du portail et, de son agrandissement au XIII° siècle, le clocher porche. L’église était dans un tel état de délabrement que le 10 août 1599, lorsque l’évêque revint à Pamiers et en reprit possession « la sainte messe fut célébrée sous la voûte du clocher de l’église, faute de lieu décent » … En dépit des plusieurs arrêtés royaux (1638, 1657 …), la reconstruction ne se fit que dans les années 1670 « sur les vestiges » de l’ancienne. Mieux, en 1691, les matériaux provenant de la démolition de l’ancien temple voisin furent employés pour sa reconstruction. Notre-Dame du Camp, l’autre église fut ruinée dès 1563, reconstruite en 1603 et à nouveau saccagée en 1621. Du bâtiment médiéval il ne demeure que le haut mur du clocher porche.
          Mais pourquoi conserver uniquement ces clochers ou ces tours (les tours des hôtels particuliers n’étant en fait le plus souvent que les « cages » des escaliers à vis) ? Parce qu’ils servaient de tours de guet en ces périodes troublées. Achever la démolition de bâtiments en ruine pour réemployer ce qui pouvait encore l’être était alors pratique courante, le demeura et fut utilisé par tous les habitants. On trouve ainsi, encore aujourd’hui, de nombreux exemples de ces réemplois dans le cœur de ville : chapiteaux encastrés dans les murs, tailloirs servant de seuil de porte… La ville est donc aujourd’hui une ville de brique rose, de style toulousain de bonne facture, influencée par l’art de la métropole voisine.  Les églises ont une large nef unique. Les bâtiments conventuels (actuel lycée et Carmel) présentent des cloitres de facture très classique. Le bâtiment le plus intéressant est le Présidial, symbole du pouvoir royal, qui fut achevé en 1777.
           Le travail du fer et du bois a laissé de beaux spécimens de grilles, de balcons, de portes, de rampes d’escaliers qui mériteraient d’être identifiés et mieux protégés dans le centre ancien dont l’architecture est par ailleurs assez pauvre : admirez par exemple la grille d’honneur de l’actuelle mairie et son escalier d’honneur.  Les habitations qui s’agglutinaient à la période médiévale dans des ruelles étroites selon un parcellaire en lanières allongées très typique avaient été aussi copieusement pilonnées que les lieux de culte. Les compoix de la fin du XVI siècle et tous ceux du XVII siècle font état de « maisons ruineuses », de bouts de maison. La reconstruction des habitations se fit lentement, avec des matériaux médiocres le plus souvent : briques de réemploi, galets de l’Ariège, pisé, terre crue. Il est bien difficile de dater certains murs car les techniques de construction n’ont guère évolué du XVII au XIX siècle. L’habitat ancien (il en reste quelques exemples rue Robert, rue Piconnières …) est typique. Il s’agissait de maisons à colombage montées sur un rez-de-chaussée en dur (galets de rivière). L’encorbellement concernait au maximum deux étages. Les rues montaient et descendaient de façon abrupte comme la « pujada » des Bons efforts. Tout autour de la butte primitive sur lequel s’élevait le château comtal, le Castella, il y avait une série de montées en escaliers au nom évocateur : la montade, les escaldes, la rue serpente.  Il en demeure un. Ce bâti a été facilement rejointoyé. Au XIX° siècle quand la municipalité voulut agrandir les grands axes de circulation, elle fit supprimer les avancées et indemnisa les habitants pour la reconstruction de leur façade n’hésitant pas à ordonner la démolition des édifices gênants et à faire exécuter des plans d’alignement !
          Tout visiteur découvrant la ville est séduit par les canaux qui entourent ce bâti ancien. Pamiers s’est développé dans deux méandres découpés de l’Ariège qui ont tenu lieu de fossés à la ville avant de devenir, grâce au travail de l’homme, petit à petit des canaux. Bien sûr en 1300, ces fossés n’avaient pas l’aspect que nous leur connaissons. Ils ont été patiemment aménagés de la chaussée du Foulon, alimentant le canal d’amenée d’eau du Barriol où il se dédouble en bras ouest et est et vont se rejoindre au carrefour de Lestang et se déverser dans l’Ariège. L’entretien de ce système défensif a coûté beaucoup d’argent et beaucoup de travail aux Appaméens. Il était ponctué par des étangs (ou des espaces marécageux) à Loumet, à Sainte-Hélène, à Lestang enfin dominé par le cimetière Saint-Jean. Le XVIIe siècle se plaindra des miasmes qui s’en dégagent. Mais ils auront été aussi un des moteurs économiques de la ville : c’est là que s’installèrent dès le XIIIe siècle les tanneries, les teintureries et les nombreux moulins fariniers ou à foulon qui faisaient vivre la ville. Les « canaux » apportaient aux habitants une force hydraulique contrôlée par des vannes de bois. Il n’en demeure pas grand-chose aujourd’hui. L’emplacement de l’Usine, bien sûr, installée en 1817 au bord du canal dit des Carmes pour s’assurer une partie des eaux du canal … et n’a pas bougé. Il y a aussi le petit moulin qui servit un temps d’Office de tourisme boulevard Delcassé. Jusqu’au début du siècle dernier ces canaux continuèrent à être des lieux de vie, de convivialité comme en témoigne encore tout un petit mobilier urbain sur les berges : lavoir communal, lavoir individuel au pied de son jardin, mais aussi, plus prosaïquement WC au fond de ces jardins, se déversant directement dans le canal car c’est au canal que finissait « urines, matières fécales et eaux corrompues », pour reprendre les termes d’un arrêté municipal.
          Le canal capte l’eau de l’Ariège au Foulon. Le site a toujours beaucoup d’allure. A la place de l’actuel barrage il faut imaginer la grande « paissiera », qui demanda tant de travail à la cité. La description des nombreux travaux à exécuter chaque année permette d’imaginer cette masse de bois, de pieux, de clous, de roches et de galets couverte de terre, accrochée plus ou moins solidement aux deux rives. Située au Barriol, emportée plusieurs fois, reconstruite tout autant, elle ressemblait plus ou moins à un énorme barrage de castors. De nos jours, le débit de l’Ariège n’est plus aussi important depuis la construction des barrages hydroélectriques qui régulent des milliers de mètres cubes d’eau. Antérieurement ses crues, parfois très destructrices, étaient redoutables, nous en reparlerons.
           Arriver à domestiquer l’eau, à la mettre à son service fut pendant des siècles une des occupations principales des Appaméens. Un autre exemple en est donné à l’autre bout de la ville, sur la route de Toulouse, au Nord, sur les coteaux. Au passage, sur la place, à Milliane, on admirera un autre travail : la montée patiente, galet à galet de ces murs de soutènement qui retenaient les collines, ici celle du cimetière Saint-Jean. Sur cette sortie, entre la porte de Lestang et la Cavalerie, perdurent les jardins et leur ingénieux système d’irrigation :  à Lestang, au Gabé, à Bourges, à Magnagounet et à Cahuzac. Là sur les talus au fort dénivelé, les eaux s’infiltrent et ressortent car sous les alluvions existe un soubassement argileux imperméable. Il y a des ruisseaux et des sources en abondance. Les maraichers ont investi les lieux comme l’indique bien « la rue des maraichers » et ont créé des jardins longs et étroits maintenus par des murets de galets construits comme ces « mourencs », ces murs de galets qui jalonnaient les champs. Des petits canaux arrosent perpendiculairement ces jardins qui suivent la pente naturelle du terrain. Des petites vannes ou des buttes de terre dirigent l’eau, en régulent le débit. Aux pieds de ces collines, l’Ariège montre toute sa puissance C’est dans ces quartiers du Gabé et de Bourges, le long de l’ancienne route royale qu’eurent lieu les dernières grandes crues dévastatrices en 1875, 1877, 1898, 1900, 1910.

    (1) – Clin d’œil à l’ouvrage posthume de Michel Sébastien, « le pays de Pamiers » … et au milieu coule une rivière bordée de roses … , 2016.
    (2) – L’association Cailloup-Saint-Antonin aide à la valorisation du site.